- PAPAUTÉ
- PAPAUTÉLe mot papatus dérive du titre de papa (titre d’honneur signifiant père), donné jusqu’au VIIe siècle à tous les évêques, mais plus spécialement à celui de Rome. Papatus apparaît dans le dernier tiers du XIe siècle, en même temps que l’emploi de curia pour désigner l’administration centrale et romaine de l’Église catholique. Ce simple fait révèle une historicité de ce qui est cependant l’institution la plus ancienne du monde occidental. À Rome même, la continuité de la tradition et de la conscience d’être la tête, caput , de détenir la primauté est impressionnante. Cette continuité est réelle. On peut lui appliquer les critères de développement homogène formulés par Newman : préservation du type, continuité des principes, puissance d’assimilation, conséquence logique, anticipation de l’avenir, action conservatrice du passé, vigueur durable. Pourtant les chrétiens non catholiques romains dénoncent des changements intervenus au cours du temps et qui auraient modifié l’institution, ou même l’auraient créée. L’histoire est l’histoire, il faut la reconnaître telle qu’elle a été. Ainsi contestée par nombre de chrétiens, la papauté occupe une place privilégiée dans la vision que les catholiques romains ont de l’Église, dans leurs sentiments spirituels et religieux profonds. Elle appartient en substance, pour eux, à l’ordre voulu par le Christ et à son institution (Matth., XVI, 16). La papauté a tenu et tient encore une grande place dans l’histoire du monde. Souvent en conflit avec les puissances séculières les plus hautes pour la libertas Ecclesiae , elle s’est posée à leur niveau. Son histoire est intimement mêlée à celle des nations. Même à l’époque moderne elle est intervenue, par exemple, pour le partage du Nouveau Monde entre Espagne et Portugal (1493), pour exhorter tantôt les princes, tantôt les peuples, pour guider l’action sociale et politique des catholiques, pour la cause de la paix (Paul VI à l’O.N.U., 1965). À l’âge de l’œcuménisme, la papauté représente un espoir en même temps qu’un obstacle très sérieux.1. HistoirePremières affirmations de la primauté papaleAprès la paix constantinienne (311-313), l’Église, enfin libre de vivre de façon publique, eut à préciser les structures de sa vie œcuménique. Devait-elle se créer, au plan canonique, une organisation de cette vie : conciles, ordre des sièges et des patriarcats? Ce sera l’idée suivie en Orient. Ou bien en avait-elle déjà le principe dans sa structure apostolique ? C’était la position romaine. Depuis Calliste (vers 220), Étienne (257), peut-être même depuis Victor, en 192-194, les évêques de Rome appuyaient leur revendication d’autorité sur le texte de Matthieu, XVI, 17-19: «Moi, je te dis: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne tiendront pas contre elle.» Durant les trois premiers siècles, on ne les voit pas revendiquer une juridiction sur les autres Églises, même s’ils interviennent par mode d’avertissement comme Clément à Corinthe en 96. En revanche, l’Église romaine, d’une part, exerce une très large sollicitude de charité (témoignage de Denys de Corinthe, vers 170); d’autre part, au plan de la discipline et surtout de la foi, elle est un modèle pour les autres Églises; on y vient de partout (témoignage d’Irénée, Adversus haereses , III, III, 2).Pour Constantin et après lui pour les empereurs byzantins, l’unité de l’Empire postulait l’unité de l’Église chrétienne et de sa profession de foi. On assurait celle-ci par des conciles d’Empire («œcuméniques») réunis par l’empereur; le basileus byzantin a, plus tard, souvent prétendu intervenir en ce domaine. Si l’on excepte l’intervention du pape Jules dans l’affaire de saint Athanase (340) et les canons du concile tenu à Sardique (Sofia, 343), la conscience de l’autorité papale se révèle et s’affirme à Rome surtout à partir de Damase (366-384): texte du concile romain de 382 (repris par Gélase vers 496), des papes Sirice (première «décrétale», 385), Innocent Ier, Sosime, Boniface Ier, Célestin Ier. Le siège romain de Pierre a qualité de fons , source, caput , tête, pour toute détermination réglant la vie des Églises. Avec saint Léon (440-461), la doctrine de la primauté papale est achevée (Sermo IV ); l’évêque de Rome est la présence perpétuée de Pierre, prince des Apôtres; l’interprétation romaine des textes pétriniens de l’Évangile est fixée: Matth., XVI, 18-19; Luc, XXII, 32; Jean, XXI, 15-17. De plus, chez saint Léon et dans la célébration liturgique des apôtres Pierre et Paul, la Rome apostolique apparaît comme ayant pris le relais de l’antique Rome impériale. La papauté a été, tout au long de l’histoire, soucieuse de son indépendance en face du pouvoir, même impérial. Ainsi, en 495 ou 496, le texte fameux «Duo sunt ...» de Gélase: il y a deux instances par la primatie desquelles le monde est régi...Il faut reconnaître que, en dehors de Rome, rares sont les Pères ou auteurs ecclésiastiques qui appliquent à l’évêque de Rome, et pas seulement à l’apôtre Pierre, les textes évangéliques concernant Pierre. On peut citer Optat de Milève († vers 370), Jérôme († 420), mais ce n’est le cas ni de Jean Chrysostome, ni d’aucun des Pères grecs, ni d’Augustin, lequel reconnaît pourtant au siège romain, qui est celui de Pierre, une plus grande plénitude de vérité et de grâce. Toutes ces données historiques imposent de parler des textes du Nouveau Testament concernant Pierre.Fondements évangéliquesQue Pierre ait eu une place privilégiée, un rang de «premier» parmi les Apôtres, est un fait assuré, dont témoignent les listes d’apôtres (Marc, III, 16–19; Matth., IV, 18-22, et X, 2: 神福諸精礼﨟 晴猪諸益 礼﨎塚礼猪﨎益礼﨟 刺﨎精福礼﨟, etc.), l’énumération par Paul des témoins de la résurrection (I Cor., XV, 3-5: en 55 ou 57) et le fait qu’il appelle Pierre «Céphas», enfin la place tenue par Pierre dans les récits des Actes. Toutefois, la papauté invoque une institution de son autorité par le Christ, avec référence à Matth., XVI, 17-19; Luc, XXII, 32; Jean, XXI, 15-17.L’authenticité littéraire de ces derniers textes étant de plus en plus admise, la question de leur authenticité historique est encore controversée: le Christ a-t-il dit ces paroles? En toute hypothèse, il n’est possible d’atteindre les paroles et les actes du Christ qu’à travers la communauté primitive. Mais ce fait même a ici un intérêt particulier. En effet, ces textes ont été écrits après la mort de Pierre; celui de Jean même l’a été soit au moment où ce dernier subsistait seul du groupe des Douze, soit après sa mort, par un de ses disciples. Si les Évangiles sont des catéchèses dont bien des éléments visaient à justifier certaines institutions ou façons de faire des Églises, ces circonstances de rédaction ne manqueraient pas d’intérêt pour appuyer l’idée d’une valeur permanente de la fonction privilégiée de Pierre.Ce dernier point, celui d’une «succession», ne peut être justifié par une attestation explicite et directe. On ne peut que l’inférer, soit à partir de la promesse de durée contenue en Matthieu, XVI, 18 et XXVIII, 18-20, qui vise toute la structure apostolique, soit à partir de l’idée générale d’apostolicité ou de permanence de l’Église, non seulement dans la doctrine des Apôtres, mais dans la forme de ministère héritée d’eux. En cela même, les difficultés ne manquent pas. Si le fait de la venue de Pierre, de son martyre et de sa sépulture à Rome ne peut être contesté sérieusement, on ne peut guère d’un point de vue historique et critique parler d’un «épiscopat» de Pierre à Rome, ni de la «consécration» par lui d’un «successeur», car l’épiscopat monarchique n’existait pas encore. Cela oblige à user de concepts plus souples. La forme des ministères a été largement précisée par l’histoire, mais Matthieu, XVI, 19 est une promesse dont il est normal que le contenu se dévoile dans et par son accomplissement. Du reste, si l’institution est divine en sa substance, ses modes de réalisation sont historiques et ils ont été très divers, ainsi qu’on le verra.Le contenu de la fonction ressort des textes où la papauté a reconnu son institution, ainsi que du témoignage de Paul en I Cor., XV, 3-5. Pierre a reçu de façon singulière, première, excellente, ce que tous les Apôtres ont ensuite reçu: d’être fondement, témoin infrangible de la foi; d’avoir été doté des clefs, c’est-à-dire de l’autorité d’un intendant concernant la doctrine et la discipline voulues pour entrer dans le royaume de Dieu; d’être constitué pasteur du troupeau du Seigneur. Ignace d’Antioche apporte une précision de grande portée – si toutefois on donne à celle-ci la plénitude de son sens ecclésiologique – quand, vers l’an 110, il s’adresse à l’Église de Rome comme celle «qui préside à la charité».De la fin de l’âge patristique à la RéformeLa papauté ancienne n’a pas exercé partout de la même manière sa sollicitude universelle. Elle a, sur l’Italie, au moins sur les régions suburbicaires, un pouvoir métropolitain. Pour l’Occident, elle est un centre de communion et une cour d’appel. Pour l’Orient, qui veut être sui juris et déterminer lui-même synodalement sa vie, elle est, comme premier siège, un recours en cas de conflit. La crise iconoclaste fut, à cet égard, le moment le plus important (cf. le témoignage de saint Maxime le Confesseur, mort en 662, in Patrologie grecque , J.-P. Migne éd., t. XCI, col. 144). Jusqu’au VIIe siècle, l’élection de l’évêque de Rome est soumise à l’approbation du basileus. Au milieu du VIIIe siècle, les papes, menacés par les Lombards, déçus par l’inconstance dogmatique et l’impuissance des empereurs byzantins, se tournent vers les Francs (alliance avec Pépin en 754, fondation des États de l’Église) : le souci de leur préservation déterminera largement pendant des siècles (jusqu’en 1870!) la politique papale. Le couronnement de Charlemagne comme empereur d’Occident (Noël 800) porte un coup décisif à l’union avec l’Orient, laquelle lui survivra difficilement jusqu’aux conflits avec les patriarches de Constantinople Photius († 897) et surtout Michel Cérulaire, sous lequel la rupture est canoniquement consommée (1054).Relativement faible en face d’un épiscopat puissant au IXe siècle, sauf dans les mains d’un Nicolas Ier et d’un Jean VIII, puis vouée au Xe siècle aux intrigues et luttes des grandes familles romaines, la papauté entreprit à partir de Léon IX (1049-1054) une action énergique pour se dégager et dégager le clergé de l’emprise des pouvoirs laïcs. Cet effort culmina avec saint Grégoire VII (1073-1085), victorieux dans son conflit avec l’empereur Henri IV, qu’il déposa. Les fameux Dictatus papae de 1075 (27 propositions énonçant sous leur forme la plus extrême les privilèges du pape) expriment la conscience que Grégoire VII avait de sa dignité souveraine. Son action, le développement consécutif d’une science canonique marquent le début d’une progression de la puissance papale dans le sens d’une monarchie centraliste. Dans l’Église, le pape se fait législateur unique; même les décrets des conciles lui sont attribués. On passe du primatus au papatus. En face des puissances laïques, il affirme sa potestas supérieure: solution de la querelle des Investitures, initiative des croisades, théorie des «deux glaives», Innocent III (1198-1216) se faisant l’arbitre de la Chrétienté et formulant la doctrine du pape vicarius Christi et de la plenitudo potestatis ; Décrétales de Grégoire IX (1239); excommunication et déposition de Frédéric II par Innocent IV (1245); bulle Unam sanctam de Boniface VIII (18 nov. 1302); cette période marque un sommet de la revendication de l’autorité papale.La crise ne viendra pas des puissances laïques mais de l’intérieur de l’Église : non tant de la critique répétée des mouvements antihiérarchiques qui se développeront depuis la fin du XIe siècle jusqu’à John Wycliff et Jan Hus que des plaintes contre l’autoritarisme centralisateur, contre la fiscalité pontificale (surtout avec la papauté d’Avignon), puis finalement du schisme papal de 1378. Le conciliarisme est né de l’impossibilité de résoudre la crise créée par la rivalité de deux, puis de trois papes et marquée par les conciles de Pise (1409), de Constance (1414-1418), de Bâle (1431-1449) : tout un mouvement théologique ramenait le pape à la situation d’un ministre subordonné à l’ensemble des fidèles ou Église, dont le concile est la «représentation». Eugène IV (1431-1447) réussit pourtant à imposer une conception très hiérarchique, sinon monarchique, de la papauté; l’union avec les Grecs promulguée au concile de Florence (1439) donna à cette papauté un surcroît de prestige.Cette papauté a pu, par-dessus des épiscopats nationaux, passer des concordats avec les souverains: avec l’Empire (1448), avec l’Espagne et la France (1516). Les concordats anciens (le premier fut celui de Worms mettant fin à la querelle des Investitures, 1122) étaient conclus entre deux puissances se reconnaissant comme telles, mais à l’intérieur d’un ordre commun. Ils se multiplieront à partir du XVIIIe siècle (plus de trente entre 1801 et 1830; 18 entre 1922 et 1938) en un contexte où Église et État se reconnaîtront autonomes dans leurs domaines respectifs.De la Réforme à l’époque contemporainePourtant le pouvoir papal, alors détenu par des pontifes plus soucieux de politique et d’humanisme que d’apostolat, devait rencontrer une opposition, partielle de la part du gallicanisme des rois de France et de la Sorbonne, et radicale de la part des différentes réformes du XVIe siècle, allant jusqu’au rejet du pouvoir papal par Luther (1519). Exacerbée dans son antagonisme au pape de Rome par un vif sentiment national (déjà actif dans l’Angleterre de Wycliff, dans la Bohême de Hus), la Réforme gagne la Prusse (1523), la Suède (1527), les territoires soumis aux seigneurs groupés dans la ligue de Smalkalde (1531), le Danemark (1536). L’Angleterre de Henri VIII se soustrait à l’obéissance du pape (1533), au moment où, après la partie germanophone (avec Zwingli), la partie francophone de la Suisse passe à la Réforme d’obédience calvinienne. Face à ces mouvements spirituels soutenus par des forces politiques, la papauté a été plus gênée qu’aidée par de multiples et complexes implications politiques (rivalité entre la France et l’Empire, en particulier). Finalement, c’est en s’appuyant sur des forces réformistes spirituelles à l’œuvre depuis 1520, sur une forte tradition théologique héritée de la scolastique, enfin sur la jeune Compagnie de Jésus (fondée en 1534, approuvée en 1540) qu’après le concile de Trente (1545-1563), la papauté affermit ses positions; elle organise les services centraux et centralisateurs de la curie romaine, alors que la puissante apologétique de Robert Bellarmin (Controverses , 1576-1588) sert ses desseins. L’Église prend le visage d’un État, avec à sa tête le pape. Depuis le IVe siècle, la papauté avait utilisé des légats dans une mesure correspondant à l’affirmation de sa primauté. À partir de 1500 à Venise, puis auprès de l’empereur à Madrid, Paris, Lisbonne, elle utilise des nonces permanents, agents d’une administration centralisée et d’une diplomatie très nuancée.Au moment où le catholicisme, rénové au concile de Trente, récupère certaines positions grâce à la Contre-Réforme et entreprend une grande action missionnaire (congrégation De propaganda fide, 1622) la papauté doit affronter l’absolutisme des princes; la mise en place d’un nouvel état de choses consacrant les divisions nées de la Réforme, des premières acquisitions de la science et de la critique, d’une philosophie et d’un droit favorables au pluralisme, à la tolérance, finalement à une organisation purement laïque et rationnelle de la vie publique (Aufklärung ); le développement de la critique et de nouvelles philosophies; dans l’ordre ecclésiastique même, des théories récusant l’interprétation romaine de la fonction papale: gallicanisme, presbytérianisme, épiscopalisme, fébronianisme, joséphisme, débats du synode de Pistoia. Devant tant de mises en question, la papauté a résisté avec souplesse, souvent cependant en protestant ou en condamnant: ainsi pour les affaires concernant Élisabeth d’Angleterre (1570), Copernic (1616), Galilée (1633), pour le traité de Westphalie (1648), pour l’érection de la Prusse en royaume avec un souverain protestant (1701), etc. Après la tourmente de la Révolution française et de l’Empire napoléonien, la papauté, affaiblie, mais grandie en prestige moral et religieux, entreprit une œuvre de restauration catholique dans un monde où se multiplient les révolutions et mouvements de libération, les nouvelles théories politico-sociales, les affirmations d’incroyance : telles la tâche de Grégoire XVI (1831-1846), de Pie IX (1846-1878) dans un climat général conservateur et défensif, et celle de Léon XIII (1878-1903) dans un climat de réconciliation et d’acceptation des réalités modernes (paix avec l’Empire allemand; encyclique sociale Rerum novarum , 1891; ralliement à la République à l’adresse des catholiques français, 1892, etc.).Très attaqué depuis 1859, le pouvoir temporel des papes succombe à la prise de Rome par les Piémontais (30 sept. 1870), alors que, par le Ier concile du Vatican, la papauté vient de consacrer dogmatiquement ses privilèges: primauté universelle de juridiction, infaillibilité des décisions solennelles en matière de foi ou de mœurs. La situation créée par l’occupation de Rome ne fut résolue que par les accords du Latran (11 févr. 1929). Dans un monde d’États nationaux, la papauté se pose comme une autorité spirituelle et morale universelle. Elle favorise la cause de la paix (Léon XIII eût voulu être invité à La Haye en 1899; Benoît XV fait une proposition de paix en 1917; Jean XXIII publie l’encyclique Pacem in terris en 1963; Paul VI participe à une séance de l’O.N.U. en 1965); Jean-Paul II intervient dans diverses organisations internationales, en particulier à l’U.N.E.S.C.O. En matière d’unité des chrétiens, «iréniste» sous Léon XIII, fermée à l’œcuménisme jusqu’à Jean XXIII, qui est apparu comme un pontife vraiment œcuménique, la papauté participe au mouvement œcuménique de façon active depuis le IIe concile du Vatican et les initiatives de Paul VI, 264e pape.2. Doctrine et droit catholiques romainsDoctrineComme successeur de l’apôtre Pierre, l’évêque de Rome est le chef du collège apostolique et le chef visible de l’Église catholique. La question de savoir si cette qualité est nécessairement liée au siège de la ville de Rome en tant que lieu géographique est une question ouverte et librement discutée. Il en est de même pour celle de savoir si le titre de chef de l’Église est identique ou non à celui de chef du collège des évêques, étant admis cependant que cette qualité vient du Christ. Évidemment liée à la condition terrestre et militante de l’Église, elle n’est pas absolue: qu’il s’agisse du magistère ou de la juridiction, elle est limitée et conditionnée par le droit divin (foi, sacrements, structure essentielle du ministère), par le droit naturel et par ce qu’on appelait le generalis status Ecclesiae , le bien commun, la paix, l’ordre, la santé de l’Église, selon sa Tradition. Cela marque la limite du pouvoir papal de dispense. On peut noter, avec les papes eux-mêmes (tels Pie IX, le 20 juill. 1871; Pie XII), que certaines interventions et décisions des papes qui se sont produites dans l’histoire relevaient non de la substance de leur autorité apostolique, mais de ce qu’y ajoutait le droit public de l’époque : ainsi, déposer des souverains. Mais même l’exercice du pouvoir proprement papal a connu des modalités diverses selon les temps et les lieux: il ne lui est essentiel, par exemple, ni de convoquer les conciles (bien que cela relève de la primauté; mais les premiers conciles œcuméniques ont été convoqués par l’empereur), ni de nommer ou de confirmer les évêques, ni évidemment d’avoir son siège en un territoire souverain propre, ou d’entretenir une représentation diplomatique.Toute mission comporte une tâche donnée, avec les facultés nécessaires pour l’accomplir: ainsi le service pastoral suprême comporte certains «pouvoirs» ou compétences que l’on peut distinguer en «juridiction» et «magistère».Le pape a une juridiction épiscopale, c’est-à-dire pastorale, sur tous les baptisés, juridiction ordinaire, c’est-à-dire découlant de sa charge même et immédiate: non en ce sens qu’il serait l’évêque de Cologne ou de Madrid, mais en ce sens que, pour décider quelque chose intéressant Madrid ou Cologne, il n’a besoin d’aucune permission, d’aucun intermédiaire (d’aucun placet royal ni épiscopal). Cette juridiction est pouvoir de légiférer, de gouverner, de dispenser: ainsi la papauté moderne se reconnaît le droit de dissoudre les liens même de droit naturel lorsqu’ils ont été établis par l’intervention d’une volonté humaine, tels qu’un mariage entre deux non-baptisés, ou un vœu solennel de religion. Certains jugements et la levée de certaines excommunications sont réservés au pape (Codex iuris canonici , canons 1557, 894, 2320, 2343, 2369 de l’édition de 1917; canons 1405, 1367, 1370, 1388 de l’édition de 1983).Le magistère est la faculté d’enseigner avec une autorité qui ne se réduit pas à celle des raisons de science apportées. On distingue le magistère ordinaire (lettres, discours, encycliques dont la série commence avec Mirari vos , 1832), par lequel le pape oriente l’enseignement de toute l’Église et cherche à en assurer l’unité, et le magistère extraordinaire, c’est-à-dire le jugement solennel et définitif par lequel un concile, ou le pape personnellement, définit un article devant être tenu par tous. C’est à ce sujet que, depuis le XIVe siècle, on parlait d’infaillibilité, point qu’a défini le Ier concile du Vatican. Cela ne signifie pas que le pape soit habituellement infaillible. Comme docteur privé, il peut être hérétique et même enseigner des erreurs. Cela signifie que, lorsqu’il exerce au suprême degré sa charge de pasteur et docteur de tous les chrétiens – dans les limites de sa compétence (foi et mœurs) –, il jouit, dans l’acte par lequel il définit, de l’assistance divine, qui assure à son jugement la qualité d’infaillibilité. Il parle en effet alors au nom de toute l’Église, qu’il engage. Il n’agit donc pas solitairement, même s’il agit personnellement. Son magistère est inséparable, d’un côté, de la foi transmise depuis les origines et dont les Écritures sont la norme première, d’un autre côté, de la vie de toute l’Église dans la vérité. C’est pourquoi, si les décisions papales sont juridiquement valables ex sese , par elles-mêmes, elles ne sont pas séparables de la foi et de la vie de l’Église. C’est pourquoi aussi l’idée que le pape est supérieur au concile n’exprime qu’un aspect de la réalité. Le pape n’est pas une autorité, entre le Christ et l’Église, qui serait plutôt du côté du Christ. Il détient le ministère suprême dans l’Église, pour veiller à l’unité et harmoniser la communion de toutes ses parties.DroitL’évêque de Rome est élu par le clergé de Rome, représenté, à partir de 1059, par les cardinaux ; depuis 1179, la majorité des deux tiers est requise. Pie X a supprimé (20 janv. 1904) tout droit de veto d’un pouvoir séculier à l’encontre d’un candidat. L’élu n’est pas nécessairement un Italien. En fait, depuis les papes d’Avignon, les seuls non-Italiens ont été Adrien VI d’Utrecht (1522-1523) et Jean-Paul II (élu en 1978). Tout catholique de sexe masculin est éligible (de fait, des laïcs ont été élus papes, tels Benoît VIII, Jean XIX); dans le cas où l’élu serait un laïc ou un simple prêtre, il devrait se faire ordonner évêque avant que son élection ne soit annoncée publiquement. Quant au sacre du nouveau pape étant déjà évêque, il s’est présenté historiquement comme une intronisation (Nicolas II, 1059-1061), un couronnement (Clément V, 1305-1314); c’est aujourd’hui simplement l’inauguration publique du ministère du nouveau pontife. Ce n’est ni un sacrement ni la collation de son pouvoir au pape. Celui-ci pourrait nommer son successeur, soit en indiquant un nom aux électeurs du futur conclave, soit même en le proclamant: cela s’est fait (Félix IV a nommé Boniface II, en 530), mais on n’honorerait pas ainsi le lien entre le pasteur et sa communauté, et les dangers en sont tels que les théologiens s’y sont généralement opposés. Le pape pourrait aussi abdiquer (canon 221 du Codex de 1917; canon 332 § 2 du Codex de 1983), tel Célestin V (1294), mais ce cas invite à la circonspection. L’histoire connaît aussi des dépositions de papes, une vingtaine de 767 à 1073, liées à des conditions politiques. Depuis Adrien II (869), on a généralement admis que le principe selon lequel «le siège primatial n’est soumis au jugement de personne» était limité par la clause: à moins qu’il ne dévie de la foi, clause qui était entendue largement de façon à englober tout scandale notoire portant un préjudice grave à l’Église. On ne jugerait pas la fonction, on constatait que la personne s’était mise en dehors de la communion ecclésiale.Les titres attribués au pape ou désignant sa fonction n’ont pas tous la même importance; seuls certains ont une valeur dogmatique; tous cependant ont une histoire. On peut citer : apostolicus , apostolica Sedes , à partir de Damase; apostolatus vester , après 417; papa , qui tend à être réservé à l’évêque de Rome à partir du VIe siècle; vicarius Petri , qui était d’abord plus fréquent que vicarius Christi – ce dernier, à l’origine, se disait de tous les évêques et tend à être réservé au pape, avec un sens juridique, au XIIIe siècle; summus pontifex , qui n’est pas une transposition du titre païen de pontifex maximus , et qu’on trouve à partir de Gélase Ier; «Votre Sainteté», qui était une appellation ancienne de la communauté chrétienne et qui a été employé ensuite pour les évêques, n’implique pas d’appréciation morale; on dit aussi: le « Saint-Siège », «(Très) Saint-Père» et, bien entendu, «le pontife romain», «l’évêque de Rome».3. Dans le droit internationalL’Église catholique est une institution de droit divin, une réalité originale supranationale. Elle est reconnue comme telle dans le droit international en la personne de son chef, le pape, indépendamment de la qualité qu’a celui-ci d’être souverain d’une «cité» qui cependant ne se considère pas comme pleinement assimilable à un État, n’ayant de raison d’être que de constituer le support matériel symbolique d’une autorité spirituelle supranationale. La papauté porte ainsi un double titre de droit international: «Lorsque le Saint-Siège signe un concordat, il agit comme organe de l’Église catholique; quand il a signé avec l’Italie des conventions diverses relatives à des affaires purement temporelles (postes, monnaie, santé, etc.) ou lorsqu’il a demandé à l’U.N.E.S.C.O. la protection spéciale de la cité du Vatican comme ensemble de biens culturels, il a agi au titre d’organe de l’État de la cité du Vatican...» (P. Ciprotti). Les deux titres se mêlent quand la papauté exerce le privilège d’envoyer et de recevoir des représentants diplomatiques (elle est représentée par des agents de qualité diverse, nonces, délégués..., dans une centaine de pays) ou des représentants dans les organismes internationaux, tels que l’O.N.U., l’U.N.E.S.C.O., la F.A.O., le B.I.T. (treize au total). L’intérêt et la part que la papauté prend dans les organismes internationaux s’affirment de plus en plus, au service de la paix, de la justice et du développement à l’échelle mondiale.4. Au point de vue œcuméniquePaul VI a dit à plusieurs reprises avoir conscience d’être l’obstacle majeur sur le chemin de l’unité : alors que sa charge est un ministère de communion. Les chrétiens non catholiques romains soulèvent, à l’encontre de la papauté, des difficultés historiques et doctrinales. Pour les orthodoxes , un apôtre ne peut avoir été évêque d’un siège. Rome doit sa qualité de premier siège au fait d’avoir été capitale de l’Empire et d’avoir été reconnue en ce titre par les conciles. L’orthodoxie tient pour une ecclésiologie de communion, où un évêque est inséparable du chœur des autres évêques, où les décisions sont prises synodalement et doivent rencontrer l’accord du peuple chrétien. Pour les protestants , les textes bibliques concernant Pierre ne fondent pas une succession institutionnelle; Pierre n’a pas été «évêque de Rome»; l’histoire a beaucoup fait pour fonder et développer une autorité papale (donation de Constantin, fausses décrétales, scolastique, ordres mendiants...). Doctrinalement, les protestants n’ont pas de théologie d’un épiscopat sacramentel; l’apostolicité est pour eux conformité de la foi et de sa confession à la foi des Apôtres, telle qu’elle est dans les écrits de ces derniers; ils ne l’identifient pas à un ministère; ils récusent l’idée d’une infaillibilité liée à une instance humaine, même par institution divine. Les anglicans tempèrent ces positions en reconnaissant une valeur à la tradition ancienne et en admettant un épiscopat historique, avec éventuellement un pape ayant un leadership au titre de primus inter pares. Les vieux-catholiques ont refusé le dogme du Ier concile du Vatican (1870) au nom de l’histoire et de la tradition ancienne. Dans l’ensemble, ces chrétiens non romains récusent les développements proprement occidentaux du deuxième millénaire. Mais l’Église catholique, avec Jean XXIII et le IIe concile du Vatican, a renoué avec nombre de valeurs ecclésiologiques du premier millénaire et a rendu vie à bien des inspirations évangéliques: collégialité, communion des Églises locales, catholicité horizontale, décentrement de la papauté vers l’épiscopat et du ministère hiérarchique vers la communauté des fidèles. Avec Jean-Paul II la papauté est devenue un événement mondial. Ses innombrables voyages ont rapproché Rome des populations en terres lointaines. Mais on constate une certaine concentration de l’attention sur Rome, sur la papauté elle-même et sur nombre de services de l’Église catholique. Jean-Paul II a fait beaucoup pour l’œcuménisme, mais ses positions en matière de morale et son attachement au culte marial l’éloignent nettement des protestants.• 1596; h. XIVe; de pape, d'apr. royauté1 ♦ Dignité, fonction de pape. ⇒ pontificat. Cardinal qui aspire à la papauté.♢ Temps pendant lequel un pape occupe le Saint-Siège. Pendant la papauté de Jean XXIII.2 ♦ Gouvernement ecclésiastique dans lequel l'autorité suprême est exercée par le pape (cf. Le Saint-Siège, le Vatican). Histoire de la papauté.⊗ HOM. poss. Papoter.Synonymes :papautén. f.d1./d Pontificat.d2./d Pouvoir, gouvernement du pape.⇒PAPAUTÉ, subst. fém.RELIG. CATH.A. —1. Dignité, fonction de pape. Synon. plus usuel pontificat. Accéder à la papauté. Un pape prêt à tout sacrifier pour ramener l'unité, (...) qui n'accepterait la papauté que pour la résigner s'il le fallait (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.2, 1821-24, p.130). Tu mériterais la papauté à Rome comme à Paris (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p.63). Il se croyait désigné, voulu, prédestiné à la papauté (BARRÈS, Cahiers, t.7, 1908, p.98).2. P. méton. Durée d'exercice de cette fonction. Synon. usuel pontificat. Pendant sa papauté, Rome a reçu beaucoup d'embellissements (Ac. 1835, 1878). Ce changement s'est produit pendant sa papauté (Ac. 1935).3. En partic. Gouvernement du pape, institution qui fait du pape le chef de l'Église; p.méton., ensemble de ceux qui gouvernent en collégialité et sous l'autorité du pape (cardinaux, prélats) à Rome. Il y a eu de tout temps des athées parmi les chefs et les princes de l'Église, et plusieurs d'entre eux ont rendu à la papauté d'éclatants services (A. FRANCE, Hist. comique, 1903, p.143):• 1. COÛFONTAINE: (...) Pourquoi (...) [ces] prétentions sans mesure qui attristent tous les sincères amis de la Papauté (...)? Que veulent dire ces défis? Cette infaillibilité qu'on est en train de se faire décerner?CLAUDEL, Père humil., 1920, I, 2, p.496.— P. méton. HIST. Pouvoir temporel du pape; État que constituait le Saint-Siège. La papauté d'Avignon; la lutte de la papauté et de l'Empire au Moyen Âge; affaiblissement de la papauté. Le souvenir de ses démêlés [de Philippe-Auguste] avec la papauté et de l'étrange aventure de son mariage avec Ingeburge (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p.26):• 2. ... le pape, menacé dans Rome par les Lombards (...) a demandé la protection du roi des Francs. Alors se noue un lien particulier entre la papauté et la France. Pépin constitue et garantit le pouvoir temporel des papes.BAINVILLE, Hist. Fr., t.1, 1924, p.35.B. —Ensemble des papes qui se sont succédé depuis saint Pierre. Histoire de la papauté. Les deux artistes de la papauté, Michel-Ange et Raphaël, se sont partagé le double génie de l'Église. Le premier a reçu l'inspiration de la Bible, le second celle de l'Évangile (QUINET, All. et Ital., 1836, p.189). Quel trésor historique si l'on pouvait y fouiller [dans le registre du gouvernement pontifical] en remontant vers les premiers siècles de la papauté! (CHATEAUBR., Mém., t.3, 1848, p.519):• 3. Boniface VIII (...) est l'auteur de la Bulle Unam Sanctam, (...) où il est affirmé que le Pape est le Chef, le Maître spirituel et temporel de toute la terre, acte le plus grand et le plus digne de la papauté qui ait été accompli depuis saint Pierre.BLOY, Journal, 1899, p.375.C. —P. anal. Autorité incontestée. En même temps qu'elle [la Commune] prétend reprendre la tradition des jacobins, elle usurpe la papauté sociale et s'arroge la dictature (SAND, Impress. et souv., 1873, p.69):• 4. La papauté théologique en Gerson et en Bossuet, la papauté philosophique en Descartes et en Voltaire, la papauté politique, civile, en Cujas et Dumoulin, en Rousseau et Montesquieu, qui pourrait la méconnaître?MICHELET, Peuple, 1846, p.326-327.Prononc. et Orth.: [papote]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) Fin XIVes. «dignité de pape» (Gloss. gall.-lat., B.N. l. 7684 ds GDF. Compl.), puis 1596 (HULSIUS); b) 1694 «temps pendant lequel un pape occupe le Saint-Siège» (Ac.); 2. 1831 «système de gouvernement ecclésiastique» (CHATEAUBR., Ét. ou Disc. hist., t.3, p.286). Dér. de pape1 d'apr. royauté; cf. le lat. médiév. papalitas au sens 1 (fin XIVes. Gloss. gall.-lat., B.N. l. 7684 supra) d'où l'empr. m. fr. papalité (XIVes. ds GDF. — XVIes. ds HUG.) répertorié par Ac. Compl. 1842, BESCH. 1845-46 et GUÉRIN 1892. Fréq. abs. littér.: 151.papauté [papote] n. f.ÉTYM. XIVe; papalité, 1596; de pape, sur le modèle de royauté.❖1 Dignité, fonction de pape. ⇒ Pontificat. || Cardinal qui aspire à la papauté. — Par ext. Temps pendant lequel un pape occupe le Saint-Siège. || Pendant la papauté de Pie XII, de Jean XXIII.2 Système de gouvernement ecclésiastique dans lequel l'autorité suprême est exercée par le pape; par ext. || Ceux qui exercent ce gouvernement, principalement le pape. ⇒ Saint-Siège (→ Vatican). || Histoire de la papauté. || Puissance de la papauté sous Innocent III. || La papauté confia des abbayes à des clercs séculiers (→ Commende, cit. 1).1 (…) je ne crois pas que la papauté doive être une espèce de pouvoir dictatorial planant sur des futures républiques (…) Je pense que l'âge politique du christianisme finit, que son âge philosophique commence; que la papauté ne sera plus que la source pure où se conservera le principe de la foi prise dans le sens le plus rationnel et le plus étendu.Chateaubriand, Études historiques, Préface.2 De toutes les monarchies, la Papauté est, sans doute, la seule qui soit à la fois absolue et élective.H. Marc-Bonnet, la Papauté contemporaine, p. 8.
Encyclopédie Universelle. 2012.